Pour que tu t'y intéresses, nouvelle trouvée dans le recueil Le grand livre des robots, prélude à Trantor. Voilà pour l'impossibilité logique d'un robot se représentant comme humain, dans une des (très) rares histoires d'Asimov sauce "robot menaçant".George Dix et George Neuf étaient assis l'un à côté de l'autre. Ils restaient ainsi pendant des mois entre les occasions où Harriman venait les activer pour leur soumettre des problèmes. Et cela durerait, pensa George Dix calmement, pendant des années. Mais la micropile à proton continuerait bien sur à les alimenter et à maintenir les circuits de leurs cerveaux positroniques en état de marche à la puissance minimale pour qu'ils restent opérationnels. Cela allait continuer ainsi pendant toutes les périodes successives d'inactivité à venir.
Leur situation était à peu près analogue à ce que l'on nomme sommeil chez les êtres humains, mais il n'y avait pas de rêves. La conscience de George Dix et la conscience de George Neuf était limitée, lente et intermittente, mais c'était la conscience du monde réel.
Ils pouvaient se parler de temps en temps en murmures presque inaudibles, un mot ou une syllabe par-ci, un autre par là, quand le courant positronique s'intensifiait par hasard au-dessus du seuil minimal. Il leur semblait qu'ils tenaient une discussion suivie dans un temps qui s'évanouissait.
-Pourquoi sommes-nous ainsi? murmurait George Neuf.
-Les être humains ne nous accepteraient pas autrement, murmura George Dix. Mais un jour, ils nous accepteront.
-Quand?
-Dans quelques années. La date importe peu. L'homme n'est pas seul au monde, il fait partie d'un réseau de formes de vie d'une énorme complexité. Quand une partie suffisante de ce réseau sera robotisée, alors nous seront acceptés.
-Et que se passera-t-il?
Ces mots furent suivis par un silence anormalement long, même pour leur type de conversation, étirée et bredouillante.
Enfin, George Dix murmura:
-Laisse moi vérifier ta façon de penser. Tu es équipé pour apprendre à appliquer la Deuxième Loi. Tu dois décider à quel être humain tu dois obéir et auquel tu ne dois pas obéir quand il y a opposition dans les ordres. Ou savoir si tu dois obéir aux êtres humains. Que faut-il que tu fasses, essentiellement, pour accomplir cela?
-Je dois définir le terme "être humain", murmura George Neuf.
-Comment? Par l'apparence? Par sa composition? Par sa taille et sa forme?
-Non. De deux êtres humains égaux en apparence, l'un peut-être intelligent, l'autre stupide; l'un peut avoir des connaissances, l'autre être complètement ignorant; l'un peut être mûr, l'autre puéril; l'un peut être honnête, l'autre malfaisant.
-Alors, comment définis-tu un être humain?
-Quand la Deuxième Loi m'oblige à obéir à un être humain, je dois l'interpréter comme une obéissance à un être humain qui est habilité, du fait de son esprit, de sa personnalité et de ses connaissances, à me donner cet ordre; et quand il s'agit de plus d'un homme, celui parmi eux qui est le plus habilité du fait de son esprit, de sa personnalité et de ses connaissances, à me donner cet ordre.
-Et dans ce cas, comment peux-tu obéir à la Première Loi?
-En sauvant tous les êtres humains et sans jamais, par mon inaction, permettre que l'un d'eux soit en danger. Cependant, si dans toutes les actions possibles, des êtres humains se trouvent en danger, en agissant alors en sorte que le meilleur d'entre eux, du fait de son esprit, de sa personnalité et de ses connaissances, subisse le moins de mal possible.
-Nous sommes bien d'accord, murmura George Dix. Maintenant je dois te poser la question pour laquelle au départ j'ai demandé qu'on t'associe avec moi. C'est quelque chose que je n'ose pas juger par moi-même. Je dois avoir ton avis, l'avis de quelqu'un qui se trouve en dehors du processus de mes pensées... Parmi les individus doués de raison que tu as rencontrés, lequel possède l'esprit, la personnalité et les connaissances supérieurs selon toi aux autres, si l'on ne tient pas compte de l'aspect extérieur, qui n'a rien à voir avec cela?
-Toi, murmura George Neuf.
-Mais je suis un robot. Il existe dans les circuits de ton cerveau un critère qui te fait distinguer un robot métallique d'un être humain en chair et en os. Comment peux-tu alors me classer parmi les êtres humains?
-Parce que les circuits de mon cerveau ressentent un besoin pressant de ne pas tenir compte de l'aspect extérieur dans le jugement d'un être humain, et ce besoin est plus fort que la distinction entre le métal et la chair. Tu es un être humain, George Dix, et bien supérieur aux autres.
-C'est ce que je pense de toi, dit George Dix. Grâce au critère de jugement que nous possèdons, nous nous considérons comme des êtres humains dans toute l'acceptation des Trois Lois, et qui plus est, des êtres humains supérieurs aux autres.
George Neuf murmura:
-Que va-t-il se passer alors, quand les autres nous accepteront?![]()
-----