Expériences de physique quantique et décohérence

[1h1ng01]

Bonjour,

Je sais que les expériences en mécanique quantique, du type de celle qu'a réalisée Alain Aspect dans les années 80 ou encore celles réalisées plus récemment en matière de contrafactualité quantique, sont accomplies avec des précautions extrêmes.

Cependant, je m'interrogeais concernant l'isolement des ces expériences vis-à-vis du monde extérieur et du risque de décohérence quantique.

Est-ce que pour que ces expériences soient concluantes il est impératif que non seulement les particules observées (ex. les photons envoyées un par un dans l'expérience d'Alain Aspect) soient isolées de toute perturbation extérieure susceptible de causer la décohérence du système des particules intriquées, mais aussi tous les éléments du système expérimental ? A savoir les séparateurs de faisceaux, les miroirs ou encore les cibles dans les protocoles d'observation contrafactuelle sans interaction.

En effet, j'ai cru comprendre qu'il était difficile d'isoler un objet macroscopique de toute interaction pour le mettre à l'abri de la décohérence et l'on aurait tendance à imagine que tout ce matériel expérimental ne flotte pas dans le vide mais doit être fixé d'une façon ou d'une autre à une table reposant sur le sol du laboratoire lui même rempli d'interactions possibles ne serait-ce que par le rayonnement thermique.

J'ai même lu qu'une équipe chinoise était récemment parvenu à réaliser une communication contrafactuelle en utilisant une fibre optique de 1km de long, je ne vois pas comment une telle expérience aurait pu être isolée du monde extérieur.

Bref, ma question est de savoir si l'ensemble du protocole expérimental doit obligatoirement être isolé du monde et en ce cas comment fait-on, ou bien si l'on peut quand même réaliser une expérience sans cette condition et en ce cas pourquoi resterait-elle concluante ?

Bien cordialement,
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[ThM55]

La décohérence prend "un certain temps", comme disait un comique dans un sketch quand j'étais jeune. Ces expériences, telles que celles d'Aspect ou Zeilinger sont pour la plupart des expériences d'optique quantique. Pour l'optique quantique heureusement le "certain temps" en question est de l'ordre de la seconde, beaucoup plus que les temps de propagation et d'interaction dans les appareils, même pour les grandes distances qu'on atteint maintenant. De plus, lors de sa propagation dans l'air et lors de ses interactions avec les miroirs, le photon interagit faiblement et de manière cohérente (par exemple l'indice de réfraction résulte d'une interférence entre l'état transmis et l'état réémis) et la perte de cohérence reste négligeable. Ce temps devient très petit pour des objets macroscopiques et aussi pour des qubits qui sont réalisés dans de la matière condensée.

[ThM55]

De ce point de vue, il sera très intéressant de voir les résultats de ces expériences d'optique quantique quand on les réalisera dans l'espace, sur des distances de l'ordre de la distance terre-lune. J'ai trouvé ce lien dans les publications de l'agence spatiale allemande: https://elib.dlr.de/196190/1/RQI-2023_Roura.pdf . Il décrit un grand nombre de projets de ce type.

[1h1ng01]

Bonjour,

Merci beaucoup pour cette réponse très éclairante.

Merci aussi pour ton lien, ces expériences promettent d'être passionnantes.

Ce que je trouve complètement dingue avec les expériences de mesures contrafactuelles c'est que cela revient à observer (de manière fugace pour les raisons que tu as exposées) un évènement qui aurait pu se produire mais ne s'est pas produit. C'est comme si l'on pouvait observer, même un tout petit peu, une branche alternative d'une fonction d'onde ou un monde alternatif à la Everett suivant la manière dont on voit les choses. Même si la fenêtre est étroite, même si on pourra toujours dire qu'il ne s'agit "que" d'une mesure indirecte (qu'est-ce qu'une mesure directe ?), le fait est là et il donne le vertige. Il est probablement réalisable d'agrandir cette fenêtre. Les expériences à venir dans l'espace que tu évoques pourraient repousser les limites expérimentales liées la décohérence. Jusqu'à quel point ?

Prenons le cas de la computation contrafactuelle. Ce calcul est supposé ne pas avoir été réellement réalisé du point de vue de l'observateur, pourtant le résultat est là. Je pourrais me servir du résultat de ce calcul qui n'a pas été fait pour résoudre un problème. Ce résultat est susceptible d'influer sur le monde réel. Tout se passe comme si une information avait été extraite d'une branche alternative de la réalité.

S'il est possible d'échanger contrafactuellement de l'information avec une machine microscopique, autrement dit de communiquer avec celle-ci, l'on peut forcément se demander s'il serait possible de communiquer avec une machine un peu plus grande et complexe et de fil en aiguille on en arrive forcément à la question : où cela s'arrête-t-il ? Une limite théorique interdit-elle définitivement la communication contrafactuelle avec la version alternative d'une IA située sur une autre branche de la fonction d'onde ? Et si l'on va encore plus loin, quid d'un humain ? Même s'il s'agit pour le coup d'une expérience de pensée ou de science fiction, je trouve tout cela assez déroutant !

[A voir en vidéo sur Futura]

[ThM55]

On peut voir cela comme ça mais d'un autre côté dans la théorie de de Broglie-Bohm ce genre de mesures contrafactuelles perd tout ce côté mystérieux. Par exemple dans le cas du test des bombes d'Elitzur-Vaidman, ceux-ci disaient que les bombes valides qui n'ont pas explosé et qu'on détecte en observant un photon sur un des détecteurs ont explosé "dans une autre branche" de l'univers d'Everett! C'est effectivement vertigineux si on prend cela au pied de la lettre.

Mais en théorie de dB-B, pas du tout: simplement la particule n'était pas dans la partie de l'onde qui a emprunté le chemin passant par la bombe valide et celle-ci l'a bloqué, ce qui a instantanément influencé le chemin du photon sur l'autre branche (les bombes défectueuses laissent passer l'onde, c'est comme si leur détecteur n'était pas dans le chemin). C'est juste une constatation de bon sens. Le prix à payer bien sûr, comme on le sait, c'est la contradiction avec la causalité relativiste, mais seulement au niveau de la formulation mathématique, pas en ce qui concerne les mesures effectives. C'est très curieux que tous ces résultats étranges de mesure sans interaction deviennent des circonstances banales et ordinaires en théorie de dBB (voir par exemple le traité de Jean Bricmont: "Making Sense of Quantum Mechanics" ou plusieurs cas sont expliqués). Les expérience spatiales sur de très grandes bases (terre-lune ou plus grandes) vont-elles nous apprendre du neuf à ce sujet? je n'ai évidemment pas la réponse. C'est intéressant à mon avis, mais c'est difficile à réaliser (tout bouge dans l'espace!).

[1h1ng01]

Merci pour la référence. Il faut que je lise davantage de choses sur la mécanique bohémienne car cela paraît très intéressant.

Cela étant, pour ce que j'en comprends, onde pilote ou fonction d'onde, dans les deux cas on est amené à considérer que l'information est non locale. Même si au plan ontologique ce n'est peut être "que" l'onde pilote d'un photon qui interfère avec elle même pour produire une mesure contrafactuelle, je ne trouve pas le résultat beaucoup moins stupéfiant.