Effectivement, ton ordinateur a été créé pour transmettre les informations que je t’envoie dès lors que tu le branches sur Internet et que je suis sur ma console, sinon, il ne le ferait pas. Tu ne l’as certainement pas acheté pour te préparer les œufs ou te transporter sur la plage, mais pour être en communication avec moi dans un forum.
Bien.
Avec ses ordinateurs, mais aussi tout son arsenal technologique, l’homme d’aujourd’hui dispose d’une capacité infiniment supérieure à celle de tous ses ancêtres. Si une quelconque machine pouvait un seul instant remplacer l’homme même dans une proportion d’une partie sur un milliardième, le nombre d’emplois disponibles s’aménuiseraient au fur et à mesure que ces machines deviennent perfectionnées, multifonctionnelles, souples, rapides et nombreuses. L’exemple des pays développés montre qu’il n’en est pas le cas, bien au contraire ! C’est même lorsque l’informatique a atteint un haut niveau que les besoins en main-d’œuvre qualifiée ont explosé, au point de faire appel à l’expertise des pays encore plombés dans le sous-développement.
L’ordinateur, à l’instar des autres machines n’a pas vocation de remplacer l’homme, une tâche qu’il ne pourra jamais faire. Il se substitue à lui pour le dispenser des activités d’un certain ordre et lui permettre de s’occuper de nouvelles, car le potentiel d’activités de l’Homme est infini.
Et en effet, la différence entre l’ordinateur et l’intelligence humaine est de même nature que la différence entre l’infini et le fini. Tu as parlé d’associations d’idées dont l’ordinateur est capable. Prenons maintenant un robot doté de l’ordinateur le plus puissant de l’univers, capable de voir et de synthétiser l’environnement. Sa mémoire est gigantesque. A côté de lui, il y a une jeune dame. Les deux regardent un paysage.
La jeune dame observe un oiseau qui vole : immédiatement, son esprit se met à flâner. Cet oiseau lui rappelle son premier cours de 6ème : comment l’appelle-t-on encore ? Le cormoran ? Puis, elle se ravise : le spectacle lui rappelle plutôt son premier baiser. Mais le ciel était bleu et la mer calme. Puis sortant de ce rêve nostalgique, elle observe les poissons qui sautent sur les vagues. Et puis, elle dit : au fond, le jeune homme qui me court après, ne puis-je l’amener observer ce spectacle ? Peut-être est-il romantique. Et puis, un poisson rouge attire son attention. Elle l’observe attentivement, hausse les épaules et se dit : pourquoi perdre même mon temps ici ? Je dois aller au zoo.
La variété d’associations que la jeune fille peut faire devant ce spectacle est infinie. Elles sont basées sur des faits objectifs, sur des souvenirs, sur une construction de l’esprit, etc. Mais alors qu’elles sont infinies, à chaque instant, son cerveau est capable de sélectionner une seule. L’intelligence humaine est justement la capacité de sélectionner dans l’infini. Cette capacité lui est fournie par la notion d’être en situation.
Quant à l’ordinateur, il ne peut faire que des associations logiques ou du moins, obéissant à un certain cadrage. En effet, devant cette infinie de combinaisons possibles, laquelle choisir et pourquoi ? N’étant pas en situation, aucune combinaison n’est plus pertinente que l’autre. Il bloguerait au moindre spectacle, passant en revue des milliards de combinaisons sans signification… A moins justement que son constructeur, s’en étant rendu compte, lui ait fabriqué un ersatz « de mise en situation », par exemple, en lui demandant de limiter ses associations à ce qui peut permettre son déplacement sur la plage.
Hors, c’est la capacité de faire des associations infinies et en même temps d’être capable de sélectionner une seule qui a pu permettre à Newton de faire l’association tout à fait bizarre, irrationnelle et improbable, radicalement impossible avec une machine entre une pomme et la lune, alors même qu’il existe une infinité d’autres associations possibles entre chacun de ces objets et ceux de leur environnement… Et au sorcier de faire les siennes, même si elles sont moins logiques !
Le cerveau humain sélectionne dans un infini par sa capacité d’être en situation. La machine optimise dans un fini. C’est pour cela que la machine peut battre l’homme dans le jeu d’échecs, mais c’est aussi pour cela qu’elle peut amener l’homme sur la lune. Mais tout compte fait, c’est parce que l’homme les créées pour cela.
Mais que veut dire : « être en situation ? » C’est tout simplement coupler deux personnes en une seule, une première, physique et psychique qui agit, une seconde, uniquement psychique qui juge la première. Ton intelligence n’est pas dans la première qui me parle et qu’on peut, elle, assimiler à un robot très évolué, mais dans la seconde qui juge si ce que tu me dis est intelligent ou non. Qu’on l’appelle esprit, conscience ou tout ce que tu veux, c’est cet être capable de se dissocier de la machine corporelle pour la juger comme un objet qui est l’homme et qui porte notre intelligence mystérieuse.
Et cette caractéristique est impossible à donner à une machine. Aussi puissant soit-il, l’ordinateur ne sera jamais capable d’abriter deux êtres en lui, car seuls les vivants ont cette caractéristique. Et cette caractéristique vient du fait qu’ils peuvent être « sujets ». Etre sujet, c’est avoir quelque chose en soi qui se situe hors du temps et hors de l’espace. Le petit enfant que je fus, le jeune homme que j’ai été, l’adulte que je suis, le vieux que je serai demain sont physiquement des personnes différentes et leurs molécules ont été changées à des milliers de reprises, mais il s’agit de la même personne, indépendamment du lieu, du temps. L’ordinateur, lui, est une machine neutre, sans individualité, plus évolué que le morceau de bois qu’utilisaient nos ancêtres pour chasser le léopard, mais exactement situé à son niveau. Il pourra faire des calculs rapides, mais cette performance n’est pas différente de celle du morceau de bois qui tue efficacement et à moindre risque qu’un simple coup de poing ou la faible morsure de nos dents.
Il nous a débarrassé de certaines tâches tout à fait misérables, pour nous laisser la possibilité d’aller vers des tâches plus hautes. Nous devons lui exprimer la même admiration que lorsque l’Humanité avait trouvé le feu, la pierre taillée, la roue, le moulin, le moteur, le transistor, l’origine microbienne de la maladie, la Théorie de la Relativité, la navette spatiale, l’ordinateur, Internet, et j’en passe.
Toutes découvertes qui ont amélioré l’existence de l’Homme sans rien changer du volume de ses besoins infinis, qui ont amélioré ses conditions de travail sans rien changer de ses besoins de main-d’œuvre également infinis, l’Homme poussé de l’avant, encore et toujours, mû d’une pulsion irrésistible vers un but ignoré.
J'ai froid dans le dos quand je vois le résultat du sondage: la machine pourra un jour remplacer l'homme!
Et voilà que me revient quelque chose en mémoire: dabs les temps bibliques, les païens adoraient des statuettes de cire qu’ils s’étaient confectionné en leur attribuant des vertus magiques. Avant qu’ils ne soient frappés par la colère du Ciel.
Dieu ! L’humanité resterait-elle encore elle-même si elle se mettait à adorer ses propres fabrications ?
-----