Il y a plusieurs choses à dire. D'une part, il faut différencier une critique qui concerne avant tout l'enseignement de la physique, et la physique elle-même. Lorsque j'étais étudiant en physique, j'avais le même sentiment que toi : je voyais des bouts un peu éparts sans vraiment de cohérences les uns avec les autres : on modélisait certaines choses dans le cadre d'un cours de bidule, puis autre chose d'une autre manière dans un cours d'autres choses etc. Cela est évidemment pas très satisfaisant intellectuellement. Plus que les cours que j'ai eu à la fac, ce sont des lectures (la première d'entre elles étant les cours de Feynman) qui m'ont fait prendre conscience qu'il y avait une réelle unité derrière tout ça : une unité qui est totalement fascinante sur le plan intellectuel. Par exemple, que Dirac ait été capable, par des raisonnements extrêmement simples consistant simplement à prendre au sérieux à la fois la mécanique quantique et la relativité, de trouver une équation qui indique que l'électron ait un spin, un moment magnétique et une anti-particule associée, je trouve cela totalement fascinant. Qu'une théorie aussi simple (non pas dans le sens "simple à comprendre", ni "simple à maitriser", mais "simple par rapport au nombre d'hypothèse de base qu'il suffit d'admettre") que l'électrodynamique quantique permette de rendre compte, au moins qualitativement, d'un pan complétement énorme de notre expérience est quelque chose de très remarquable (beaucoup ne se rendent pas bien compte du nombre colossale de phénomènes qui sont explicables par le simple fait que la matière ordinaire puisse être modélisé comme étant constitué de particules chargées en interaction avec le champs électromagnétique). Bien sûr, cela, ce n'est pas forcément des choses que l'on apprend à la fac, car il y s'agit avant tout de maitriser des modèles très locaux afin de les appliquer sur des problèmes très concrets, mais il serait une erreur de penser que la physique n'est qu'une succession de modèles décousus : on peut y trouver beaucoup plus de cohérence que cela si on prend la peine de prendre un peu de recul.
Donc, disais-je, il y a bien selon moi, une réelle satisfaction intellectuelle qui peut être procurée par la physique. Cela ne veut pas dire que le rôle de la physique soit de nous dévoiler l'essence du monde. Je pense effectivement que la portée ontologique de la physique est limitée. En même temps, c'est selon mon opinion un des modes de pensée qui le fait le moins mal. Tout simplement car si elle nous dit pas ce qu'est le monde, elle nous dit tout du moins ce qu'il n'est pas. On sait grâce à elle par exemple que la vision du monde que pouvait avoir les grecques (quelle que soit la secte à laquelle ils appartenaient) était naïve. Il faut bien avoir conscience que les concepts que l'on se forge pour faire de la physique sont des constructions humaines. Mais cependant, la sélection des concepts pertinents n'est pas uniquement de notre fait : un dialogue se crée avec le réel, et c'est ce dialogue dans lequel le réel intervient qui sélectionne les concepts ayant une certaine pertinence par rapport à ceux qui n'en ont pas. Or, cela est mieux que rien, et contredit le discours selon lequel la physique n'a absolument rien à nous apprendre sur le réel. Qui peut prétendre par exemple que la relativité n'a aucun intérêt pour le philosophe qui veut méditer sur la nature du temps et de l'espace ?
Enfin, pour répondre plus directement à la question qui sert d'intitulé au fil, je dirais que les buts de la physique sont ceux que lui donnent ceux qui la pratiquent : de la plus pragmatique recherche de contrôle sur le monde matériel à la plus métaphysique quête d'une vision du monde, il n'y a pas d'interdit à avoir tant que l'on sait prendre du recul sur la portée de ses savoirs !
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