A propos des biocarburants, je signale un essai que je n'ai hélas pas lu (et qui deux fois hélas est très cher), The Biofuel Delusion, de Giampetro et Mayumi. J'en ai lu des recensions le décrivant comme un exposé particulièrement complet de toutes les raisons pour lesquelles il ne faut surtout pas continuer l'expérience des biocarburants. (Exemple de recensions ici ou, plus détaillée, là).
Si j’essaie de résumer les critiques adressées aux BC dans leurs générations actuelles, cela donnerait ceci.
Part infime du mix mondial. Les BC représentent (au moins en 2008, cela a sans doute changé en 3 ans) 2% des carburants à l'échelle mondiale, carburants qui représentent eux-mêmes 20% de l'énergie primaire consommée. Cela ne fait donc pas grand chose et on omet souvent de rappeler cette réalité quand on parle des biocarburants comme alternative au fossile ici et maintenant. J'acquiesce bien sûr à cette critique, qui vaut pour la plupart des énergies renouvelables, elles ne représentent quasiment rien en production et leur montée en puissance pose nombre de problèmes que leurs partisans omettent souvent de signaler.
Bilan énergétique médiocre. L'énergie nette ou EROEI (ratio des inputs sur les outputs) des BC est médiocre, difficilement équilibré sur la canne à sucre, pas sur le maïs. Ce point n'est pas forcément rédhibitoire pour l'avenir, même s'il est évidemment peu engageant pour l'analyse des coûts sur les générations actuelles de BC. (*)
Bilan carbone très contestable. Le cycle de production de l'éthanol extrait du maïs, de la canne ou du palmier produit en réalité beaucoup de CO2 (motorisation, engrais, pesticides, déstockage du carbone du sol, déforestation) auquel il faut ajouter le protoxyde d'azote (N2O), lui aussi un GES, dérivé ici spécifiquement de l'usage des engrais azotés. Le bilan radiatif-climatique n'est donc pas bon, alors que c'est une des justifications du biocarburant (pas la seule). Je suis à nouveau d'accord avec cette critique des BC de 1re et 2e générations.
Evolution incertaine sur la cellulose. Un quatrième point avancé par les critiques est que les dérivés lignocellulosiques (parties non utilisées des plantes pour le moment) ne sont pas encore réellement exploités industriellement et que s'il y a beaucoup de recherches à ce sujet, on n'a pas encore une unité de production opérationnelle pour juger de l'efficacité à grande échelle de ce procédé. Bon, ce n'est pas tout à fait exact parce que des sociétés comme Iogen (Canada) ont une production à assez grande échelle (pas un prototype en serre), mais je ne connais pas d'analyse critique et indépendante des résultats obtenus.
Faiblesse intrinsèque du rendement de la photosynthèse. Un cinquième point, finalement le plus intéressant, est que la photosynthèse serait structurellement inefficace pour produire de l’énergie. La photosynthèse n’utilise qu’une part du rayonnement (surtout le bleu et le rouge dans le spectre visible) et l’efficience de la conversion est de 0,3% en moyenne planétaire, 1,5% dans les écosystèmes terrestres les plus productifs (forêts). Il en résulte que la masse totalement sèche, surtout composée de carbohydrates, a une densité énergétique de 18 MJ/kg. L’essence a une densité énergétique de 45 MJ/kg.
La faible conversion et la faible densité finale expliquent que de grandes surfaces doivent être dédiées aux BC si l’on veut obtenir un volume de carburant possédant la même énergie utile que l’essence.
La solution de ce problème à la racine ne peut venir à mon sens que d’une modification dirigée (biologie moléculaire) des organismes pratiquant la photosynthèse, afin de les rendre plus efficients dans la capture du rayonnement incident (optimisation 1) puis dans la conversion et le stockage physico-chimique de cette énergie (optimisation 2). D'où l'article que je postais en début de cette discussion. Peut-être que des biologistes lisant ce message ont une idée plus précise des contraintes qui se posent aux chercheurs en ce domaine? Peut-on vraiment tout faire en bricolant le vivant, comme un "Lego" auquel je comparais l'exercice? Ou trouve-t-on des limites à la transgenèse et, dans le cas qui nous intéresse ici, au métabolisme énergétique des cellules d'un organisme modifié?
Par ailleurs, la piste des algues marines (macro-algues ou micro-algues) apporte une réponse à la question de l’emprise surfacique. La culture des organismes produisant le BC peut se faire en mer, en bassins ouverts de littoral ou en cuves verticales (photobiorécateurs) non loin elles aussi du littoral. La concurrence avec l’usage agricole des sols est dans ce cas annulée ou réduite, même si l’algoculture occupe déjà une certaine surface (à des fins diverses, productions d’aliments, d’engrais ou de médicaments par exemple).
(*) Pour préciser ce point : on a besoin de carburant liquide pour accomplir des tâches productives, par le biais d'une machine thermique. Il n'est pas indispensable que la production de ce carburant liquide possède elle-même un excellent EROEI : l'important en dernier ressort est de pouvoir accomplir le travail mécanique nécessaire à la tâche productive en question. Bien sûr, c'est encore mieux de le faire avec un carburant dont la source est très dense, la production très facile et le coût très bas (= le pétrole depuis un siècle), mais ce n'est pas non plus l'essentiel pour l'avenir. L'essentiel est que si l'on veut labourer un champ, il vaut toujours mieux le faire en une demi-journée avec un tracteur ou un motoculteur usant d'un carburant cher qu'en une semaine avec pas de carburant du tout (c'est-à-dire avec sa bêche ou sa charrue tirée par un cheval). Parce qu'il est peu probable que la "chèreté" du carburant en question atteigne la "chèreté" d'une semaine de travail homme ou homme-animal, cette dernière option étant particulièrement peu productive. Donc quand il n'y aura plus de pétrole bon marché, on préférera un biocarburant (ou un moteur électrique) à un simple retour à la case "musculaire".
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