Certains physiciens interprètent les effets quantiques time-symmetric comme des effets rétrocausaux, i.e. la modification d'évènements présents sous l'action d'évènements futurs. Y aurait-il violation du principe de causalité ? Pour étudier l'interprétation dite rétrocausale [1] "Can a future choice affect a past measurement's outcome?" prenons l'exemple classique de l'expérience dite du choix retardé.
Commençons par la traditionnelle expérience des fentes de Young
L'expérience des fentes de Young
Un faisceau de photons cohérents (i.e. de mêmes longueurs d'onde) est envoyé sur les 2 fentes d'une classique expérience d'interférence par fentes de Young. Les cas 1/ et 2/ sont envisageables :
- Cas 1/ : un détecteur permet de savoir par quelle fente passent les photons. Les photons passent alors par une fente ou par l'autre.
.- Cas 2/ : aucun moyen de détection ne permet de savoir par quelle fente les photons sont passés. Les photons passent alors "en cachette" par les 2 fentes à la fois.
Les photons sont ensuite projetés sur un écran. Leur interaction avec cet écran se traduit par des impacts ponctuels sur cet écran :C'est la dualité onde/particule. Le résultat d'une mesure quantique n’est pas propriété intrinsèque du système observé, mais propriété de l'interaction entre système observé et appareil de mesure. Le caractère ondulatoire ou particulaire observé n'est pas propre aux photons. Il dépend de ce que nous décidons d'observer. On dit, de la mesure quantique, qu'elle présente un caractère contextuel.
- Dans le cas 1/, la répartition des impacts ne présente pas de franges d’interférences. Les photons se comportent comme des particules ponctuelles traversant une fente ou l’autre.
.- Dans le cas 2/, les impacts forment une figure d'interférence. Les impacts des photons sur l'écran se regroupent en franges brillantes, là où l'onde quantique associée à un photon interfère constructivement avec elle-même (même quand un seul photon à la fois impacte l'écran) séparées par des franges sombres où l’interférence est destructive.
Expérience du choix retardé et rétrocausalité (2)
Les surprises ne sont pas terminées. On peut configurer un système d'observation des photons tel que le choix d'observer la fente par laquelle sont passés ces photons ou, au contraire, l'absence d'une telle observation, soit décidé après que les photons aient impacté l'écran. Là, oh surprise !! La présence où l'absence de franges d'interférence se manifeste avant que ce choix n’ait été fait. Une interprétation parfois proposée est celle selon laquelle une action ultérieure à l'observation des franges d'interférence pourrait induire la présence ou l’absence de ces franges d’interférence. L'acceptation ou le refus de cette interprétation rétrocausale présente un caractère assez subtil.
Déroulement de l'expérience du choix retardé
L'expérience du choix retardé fonctionne ainsi. Derrière les 2 fentes, un Crystal BBO (Barium Boron Crystal) "découpe" les photons incidents en 2 photons EPR corrélés dits photons jumeaux :
- Un photon, dit photon signal, est envoyé sur un écran,
.- Son jumeau, dit photon témoin (ou photon partenaire), permet de savoir, bien plus tard, par quelle fente le photon signal est passé.
On a alors 2 possibilités A/ et B/, toutes 2 ultérieures à la projection des photons signaux sur l'écran :
- La possibilité A/ consiste à observer par quelle fente est passé le photon témoin (détecteurs 1 et 2). Comme le photon témoin est passé par la même fente que son jumeau, le détecteur fournit une information sur la fente par laquelle est passé le photon signal. A cause de la connaissance de la fente par laquelle ces photons témoins sont passés, les photons signaux correspondants impactent l'écran sans former de franges d'interférences.
.- La possibilité B/ consiste à effacer l'information sur la fente par laquelle sont passés les photons témoin. Cet effacement est obtenu par une "gomme quantique". Le "gommage" consiste à envoyer les photons témoins sur des lames, dites lames séparatrices, renvoyant ces photons sur un même détecteur quelle que soit la fente par laquelle ils sont passés.
De façon très choquante, le choix A/ ou B/, réalisé bien après que les photons signaux aient impacté l'écran, donne la même configuration des impacts que si ce choix avait été réalisé avant que les photons signaux n'aient impacté l'écran.
L'interprétation rétrocausale de l'expérience du choix retardé est une erreur ?
The Delayed Choice Quantum Eraser, Debunked, Sabine Hossenfelder
Selon cette vidéo, l'interprétation rétrocausale de l'expérience du choix retardé est fausse. Qu'en est-il ?
Dans cette vidéo, Sabine rappelle que si, sur l'écran recevant les photons signaux, on rassemble les figures d'interférence associées aux photons partenaires provenant séparément des détecteurs D3 et D4 situés derrière la gomme quantique, les 2 figures d'interférence ne forment plus qu'une seule figure sans franges d'interférences.
Pourtant, ultérieurement, quand on dispose de l'information permettant de trier les photons signaux partenaires des photons témoins détectés en D3 par exemple, on peut faire apparaître sur l'écran les franges d'interférence associées à ce détecteur. Alors ? Pourquoi ne peut-on pas détecter ces franges d'interférence dès que ces photons ont atteint l'écran ?
Qu'est-ce qui "protège" le principe de causalité dans l'expérience du choix retardé ?
Affirmer, sans complément d'explication, que l'effet "rétrocausal" de la gomme quantique n'existe pas est trompeur. Quand les photons signaux atteignent l’écran, l'observateur ne sait pas quels photons partenaires vont impacter D3 et quels photons partenaires vont impacter D4. Il ne peut donc pas (pas encore) faire ce tri parce qu'il ne dispose pas (pas encore) de cette information. L'observateur peut cependant identifier sur l’écran les figures d'interférence créées par l’action rétrocausale de la gomme quantique...
...mais seulement une fois que les détecteurs D3 et D4 ont laissé des traces qui lui soient accessibles, c'est à dire lorsque ces évènements de détection se situent dans son passé.
L’absence d'information sur les détections en D3 et D4 empêche l'observateur macroscopique de se servir de l’effet "rétrocausal" de la gomme quantique pour faire apparaître les franges d’interférence induites par l’action ultérieure de cette gomme. Ces détections sont cachées dans son futur.
C’est notre manque d'information sur les effets futurs qui brise la symétrie (CP)T. Notre information est T-asymétrique. Elle est là l'origine des propriétés T-asymétriques si familières du temps et sa flèche (cf. Forget time, C. Rovelli) qualifiées d'illusoires* par les physiciens réalistes au prétexte qu'elles ne sont pas objectives (effectivement, elles ne le sont pas).
*Pour nous, physiciens croyants, cette séparation entre passé, présent et avenir ne garde que la valeur d'une illusion, si tenace soit-elle. Einstein, dans une lettre de condoléance adressée à la famille de son ami Michel Besso mort en 1955 (3 mois avant lui).
Finalement, que peut-on dire des traces du passé et quel rôle y joue la grille de lecture de l'observacteur macroscopique ?
Le passé laisse des traces accessibles et intersubjectivement décodables par l'observateur macroscopique, mais le futur n’en laisse pas. En fait :sont une conséquence de notre grille de lecture thermodynamique statistique, une caractéristique des êtres vivants (4). En particulier, c'est de notre ignorance des évènements futurs et de notre accès à des traces des évènements passés qu’émerge le principe de causalité.
- les traces du passé,
- la classification des évènements en évènements futurs et évènements passés,
- le principe de causalité,
- l'écoulement irréversible du temps (3) et, plus généralement,
- les grandeurs et lois de la physique que nous attribuons à (notre interaction avec) l'univers, grâce aux informations extraites des traces du passé,
Nous sommes observacteurs de l’univers et lui attribuons lois, propriétés et flèche du temps issus de notre grille de lecture et non simples marionnettes de lois fondamentales déterministes et objectives.
Si nous n'étions pas myopes, nous serions aveugles
Cf. The arrow of time issue, an overview, Avril 2024 pour (beaucoup) plus de détails.
(1) Can a future choice affect a past measurement's outcome?, Juin 2015
Y. Aharonov, E. Cohen, A.C. Elitzur
(2) Experimental realization of Wheeler's delayed-choice GedankenExperiment, Octobre 2006
V. Jacques, E. Wu, F. Grosshans, F. Treussart, P. Grangier, A. Aspect, J.F. Roch
(3) Le temps macroscopique, R. Balian, Colloques de la Société Française de Physique :
Interrogations Fondamentales. Première Rencontre : le Temps et sa Flèche décembre 1993.
(4) Incomplete descriptions and relevant entropies, R. Balian, Juillet 1999.
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