Bonjour à tous !
Je m'essaie dernièrement aux histoires consistantes/décohérentes, une interprétation qui avait, je crois, les faveurs de Deedee (un peu moins que les états relatifs tout de même).
Pour mesurer ma compréhension, je m'efforce d'employer le formalisme à des cas concrets – ici celui de la sacro-sainte expérience à double fente. J'aurais donc voulu vous soumettre cette petite ébauche, d'abord pour voir si vous y déceler quelques erreurs, et ensuite poser quelques questions de fond sur cette interprétation.
On discriminera sans peine deux histoires principales, définies par des projecteurs en fonction du temps
(Le projecteur étant ici un opérateur hermitien agissant sur l'espace de Hilbert, en bijection avec un sous-espace qui lui-même représente une "propriété" du système – en d'autres termes, la valeur spécifique, à un instant donné, d'une grandeur de ce système)
On aura donc ici :
, pour le passage par la fente gauche ;
Etpour la fente droite.
Ces deux "histoires", ou séquences de propositions temporellement ordonnées, sont dites à (très)gros grain, dans la mesure où seules deux moments sont spécifiés, pour la localisation de la particule ; où ces localisations ne sont pas suivies avec une précision arbitrairement grande, mais uniquement en fonction de la largeur des fentes ; et où enfin les positions intermédiaires ne sont pas spécifiées, pas plus que les autres grandeurs. Une telle histoire recouvre donc un grand nombre de trajectoires possibles (il y a pour ainsi dire une infinité de façons pour la particule de passer par la fente gauche) ; elle recoupe une infinité de trajectoires à grain plus fin. Ce que l'on peut formaliser au moyen de l'intégrale de chemins : pour nos deux histoires, l'amplitude de probabilité correpond à
et
Avec, l'action classique pour un chemin donné (=une trajectoire à grain fin), et
le lagrangien du système.
De même que chez Feynman, il y a interférence entre les amplitudes associées à chaque des chemins particuliers de l'intégrale ; autrement dit, entre toutes les "fine grained histories". Mais qu'en est-il entre les deux "coarse grained histoires" de notre cas de figure ?
Sans appareil de mesure placé à hauteur des fentes, nous observerons inévitablement des motifs d'interférence. Il se fait donc que les (amplitudes des) deux histoires à gros grain interférent entre elles au sein de l'espace de configuration.
et
interfèrent entre elles. La probabilité observée en
sur l'écran est donnée par
soit :
Le terme croisétraduit les interférences quantiques entre les deux histoires.
Ces histoires à gros grain sont donc rigoureusement inconsistantes, au même titre que les histoires à grain fins que chacune recouvre. La présence des termes croisés atteste l'impossibilité de leur assigner une probabilité classique (violation de la propriété d'additivité ; et pour cause, ce que l'on somme, ce sont les amplitudes, non les probabilités !). Et l'on sait que tout l'enjeu de l'interprétation des histoires consistantes est de déterminer une famille de séquences passibles d'être évaluées probabilistiquement (et donc, susceptibles d'être observées tout en étant conformes à notre logique bivalente et "booléenne")
Une autre manière d'écrire ce conflit avec les probabilités est d'introduire la "Fonctionnelle de décohérence", laquelle quantifie le degré d'interférence entre deux amplitudes/histoires.
Avecqui encode les corrélations entre les trajectoires
; et le terme de phase exponentiel
qui introduit des oscillations dues à la différence d’action entre les deux histoires.
Il apparaît que D ≠ 0 ; nos deux histoires à gros grain, nos deux intégrales, restent cohérentes, leurs phases préservées, et leurs amplitudes associées se combinent dans la probabilité finalement observée – qui comprendra donc, fatalement, des termes croisées.
Puisque donc, il apparaît que la consistance ne peut se gagner en présence d'interférences : il s'agira de rendre ces dernières négligeables pour la cause.
Introduisons alors un gaz au niveau des fentes ; on peut dire adieu au motif d'interférence. Et de fait alors, la fonctionelle s'écrit :
Ici, le facteur de suppression de la décohérence
rend compte de l'interaction gaz-particule et la perte de cohérence entre les chemins.
Si en effet le gaz est introduit, la fonctionnelledevient approximativement nulle en raison du facteur de suppression
Cela signifie qur nos deux grossières histoires ne peuvent plus interférer ; et qu'elles se laisseront, par suite, assigner des probabilités
(La probabilité d'observer la particule à la positiondevient alors
où :)
Voilà donc ce que je crois pouvoir dire, concernant l'interprétation des histoires décohérentes en intégrales de chemins. Ai-je commis des erreurs ? De trop grosses approximations ?
Et pour l'heure, une première question. Il est souvent dit dans la littérature que seules les histoires à relativement gros grain sont susceptibles de "décohérer", les histoires à grain très fins (le cas extrème, et paradigmatique à la fois, étant celles d'une intégrale de Feynman, où le temps entre les projections est arbitrement petit ; ce sont, de fait, ces chemins qui étaient considérés pour chacune de mes deux fentes) interférant toujours, quel que soit le degré d'intrication avec l'environnement. Ainsi pourrait-on.imaginer deux histoires, chacune faisant passer la particule par une fente ; mais des histoires qui inclueraient aussi des opérateurs sensibles aux corrélations avec les particules de gaz. Le grain de ces histoires est incomparablement plus fin que celui de celles sur lesquelles j'ai travaillé ! James Hartle indique expressément que ces histoires ne décoherent pas, et pour cause : elles rendent encore compte de la superposition et des interférences qu'elle entraîne, quoique celles-ci soient à présent inobservables (la superposition s'est propagée à l'environnement tout entier : il y a superposition, non plus d'histoires de la particule seule, mais de corrélations entre ses histoires ET celles de molécules de gaz). Manière de dire que la décohérence ne supprime pas la superposition stricto sensu (seulement FAPP) ; bien plutôt, elle la propage, ou la délocalise.
Soit. Mais Hartle ajoute parfois que décohérence peut néanmoins affecter les histoires à grain fin "but only in some trivial cases". Sans, à ma connaissance, préciser lesquels ! Sauriez-vous éclairer ma lanterne ?
Merci d'avance !!!
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