Le quarantième anniversaire de l’alunissage d’Apollo 11 a été l’occasion d’un déferlement de fantasmes dans des articles et des émissions dans les médias. Vu de la Terre l’exploit de la NASA a été remarquable, mais si on le considère à l’échelle du système solaire ce n’est qu’un dérisoire saut de puce. Par rapport aux étoiles les plus proches cela est inexistant. On appelle « cosmonautes », « astronautes », « spationautes » ceux qui ne sont que des « circumterriens ». Pour l’instant l’homme est comme un enfant qui se prendrait pour un grand voyageur parce qu’il a fait le tour de son pâté de maisons.
On parle de retourner sur la Lune et d’y créer une base permanente. Les coûts et les problèmes techniques sont immenses, l’intérêt n’en est pas démontré. Le voyage humain sur Mars est-il possible ? Compte tenu du coût et des risques, il faudra démontrer que l’exploration par robots ne donne pas des résultats suffisants.
Et au-delà ? Au-delà, rien ! Aucune autre planète du système solaire n’est accessible, soit parce que les conditions physiques excluent toute présence humaine, soit parce que la durée de voyage l’interdise pratiquement.
Encore plus loin aucune possibilité même pour des missions non habitées. Pour sortir du système solaire il faut atteindre la vitesse de libération soit 16,6 km/sec. Les sondes Voyager 1 et 2, lancées en 1977, ont une vitesse de 17 km/sec. Elles atteindront la distance de l’étoile la plus proche dans 75 000 ans.
Il faut augmenter la vitesse, dira-t-on. Dans l’espace le seul moyen d’augmenter la vitesse est la réaction, c'est-à-dire d’éjecter de la matière à grande vitesse. Il faut donc de la matière à éjecter et de l’énergie pour lui donner de la vitesse. La fusée basée sur une réaction chimique a l’avantage que le propergol fournit à la fois l’énergie et la matière à éjecter.
Il y a conservation de la quantité de mouvement (produit de la masse par la vitesse) entre la matière éjectée. La relation de Tsiolkovski s’en déduit très simplement :
∆V = Ve*Ln(M1/M2)
∆V = variation de vitesse de l’engin, M1 = masse initiale engin, M2= masse finale.
On peut également en déduire l’expression inverse :
M1/M2 = exp(∆V/Ve)
Examinons ce que l’on peut conclure de cette formule particulièrement simple.
Voyager a une masse de 800 kg. Il faudrait lui adjoindre un moteur. Avec tous les moteurs « classiques », à réaction chimique, la vitesse d’éjection est au plus de 5 km/sec. Rien que pour doubler la vitesse, soit ∆V=17 km/sec on a M1/M2 = exp(17/5) = 29,9. La masse de départ est donc alors de 30 fois la charge utile. Le lanceur Titan-Centaur avait plus de 8000 t : il faudrait passer à 24000 t pour 800 kg.
On a envisagé d’autres moyens de propulsion utilisant d’autres systèmes que chimiques. Avec eux c’est toujours le principe de la réaction qui est en jeu et la relation de Tsiolkovski qui s’applique. Leur intérêt est de permettre des vitesses d’éjection plus importante. On a annoncé des vitesses dépassant 100 km/sec. Il faut alors embarquer la matière à éjecter, une source d'énergie et une machine capable de transformer cette énergie potentielle en énergie cinétique.
Une difficulté que l’on ne voit jamais soulevée pour ces propulsions alternatives à grande vitesse d’éjection c’est que l’énergie nécessaire pour accélérer la masse éjectée est proportionnelle au carré de la vitesse d’éjection (énergie cinétique = ½ MV²). Ejecter 1 kg de matière à 50 km/sec demande 100 fois plus d’énergie qu’à 5 km/sec.
La propulsion ionique a déjà été appliquée, en utilisant l’énergie de panneaux solaires, mais pour des poussées très faibles destinées à modifier la trajectoire. Cette possibilité disparait quand on s’éloigne du soleil.
Les programmes concernant l’astronautique, le retour sur la Lune, le voyage sur Mars demandent des investissements gigantesques. Ces programmes seront définis par des scientifiques et des techniciens et décidés par des politiques : pour finir c’est le contribuable qui paiera. Sans adhérer à une quelconque « théorie du complot » je pense qu’il est légitime de se demander si ceux qui influent sur les décisions ne sont pas ceux qui vont profiter de la manne des crédits d’études et d’investissements, et que, si honnêtes qu’ils soient, ils ne peuvent être complètement neutres et objectifs. En face d’eux il y a une opinion publique qui, gorgée de science-fiction, est prête à s’enthousiasmer pour de si beaux projets. Quant aux responsables politiques, ils sont généralement incompétents, ne se sentent pas concernés par des projets à si longue échéance, et par démagogie ne veulent pas aller à contre-courant de l’opinion. La presse et tous les médias ont un fond de commerce dans ces problèmes et personne ne veut jeter une douche froide en se demandant : « Est-ce bien raisonnable ? »
Je pense qu’il est du devoir du citoyen responsable d’essayer de se faire une opinion et pour cela de faire l’effort de s’informer. Ces problèmes peuvent sembler extrêmement complexes et ils le sont. Or les lois physiques qui interviennent sont très simples ; elles sont incontestables car connues depuis le XVIIIe siècle, elles ont été vérifiées par tout ce qui a été réalisé jusqu’à ce jour. Avec une feuille de papier et un crayon le moindre bachelier peut se rendre compte de ce qui est possible et de ce qui est définitivement inaccessible.
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