Point de vue sur le libre-arbitre.
I/ Définition "officielle"
"Le libre arbitre est la faculté qu’aurait l'être humain de se déterminer librement et par lui seul, à agir et à penser, par opposition au déterminisme ou au fatalisme, qui affirment que la volonté serait
déterminée dans chacun de ses actes par des « forces » qui l’y nécessitent." (Wikipedia)
Pour autant que cette définition me semble correcte, elle est très imprécise. Les mots peuvent prendre ici des significations très diverses, et sans s'entendre sur ceux-ci, on n'a en somme qu'une vague idée de ce qu'est le libre-arbitre. Et un mot qui appelle particulièrement mon attention, est le "se" de "se déterminer". Puisqu'il désigne l'individu considéré, le "moi", le "je". "Je" me déterminerais, mais
qu'est-ce que ce "je" ? La pensée ? Mon être dans sa globalité (mon corps dira le matérialiste) ? Ou ma seule composante psychique (le cerveau dira le biologiste, la psyché dira le psychologue) ?
II/ Analyse du concept
Il n'est pas inutile de rappeler l'origine religieuse du concept (St. Augustin), et ce qu'elle signifiait dès sa création.
En tant que "bon" déiste et idéaliste, son inventeur l'a bâti sur un socle (la pensée) qu'il imaginait distincte du corps physique. Il y aurait selon ce genre de théorie une pensée autonome, une "âme" qui ne rendrait que peu compte du fonctionnement physiologique du corps humain. Comment la pensée et le corps seraient reliés selon cette approche, voila une question à laquelle cette théorie n'a pas pris la peine de répondre.
Que cette question ait été prise au sérieux par la suite et jusqu'à aujourd'hui, peut sembler étonnant. N'est-ce pas un piège que le mystique a posé là, dans lequel même les scientifiques les plus
pragmatiques seraient tombé ? La faute à qui ? Peut-être aux philosophes, dont certains de renom, qui ont succédé à son inventeur.
Il me semble donc nécessaire de préciser plus exactement ce que sous-entendrait l'existence du libre-arbitre, et voir ainsi s'il serait compatible avec la logique et plus généralement la science.
Mais avant que cela soit possible, il faut préciser ce qu'est la pensée (dont le libre-arbitre ne serait qu'un aspect), puisque si on ne définit pas la chose générale, on risque peu d'en définir une de ses
parties. Et cela ne sera pas une mince affaire, puisque la chose ne semble pas avoir été faite, entendons par là résolue.
Il existe ainsi deux grands courants, matérialisme et idéalisme (sachant que cette dernière englobe plusieurs branches), pour définir la réalité, et donc ce que constitue la pensée. Pour les uns n'existerait que la matière, et la pensée ne serait que le conglomérat d'atomes, complexifié à l'extrême, mais simple conglomérat quand même. Pour les autres la pensée serait autonome, voire éternelle pour les plus extrêmes, "transcendante", et possèderait ainsi une autonomie propre. La matérialisme supporte encore moins la possibilité du libre-arbitre, mais une "âme transcendante" rencontre aussi tout un barrage d'objections logiques.
Une première objection logique a déjà été relevée : "l'interaction entre le corps et l'esprit ; le rapport de deux causalités de natures différentes est inintelligible. En effet, l'alternative semble être la
suivante : ou bien le corps et l'esprit sont dans un rapport de causalité, et, dans ce cas, ils sont de même nature, il n'y a donc pas de dualisme (mais le problème de leurs rapports n'est pas résolu) ; ou bien, n'étant pas de même nature, ils possèdent chacun une causalité propre."
https://fr.wikipedia.org/wiki/Probl%...re_le_dualisme
(les 2 objections suivantes me semblant peu pertinentes, la première n'étant qu'une expérience de pensée n'aboutissant à aucune démonstration véritable, la seconde ne faisant part que de l'impossibilité de communiquer des sensations réelles qu'on éprouve, pas de l'absence d'existence d'un "esprit", ne serait-ce que de la part du sujet étudiant.)
En revanche, la question de l'interaction d'objets de différentes nature se pose et est très pertinente (elle permet également de réfuter le dieu monothéiste "transcendant" et "immatériel").
En effet, il faut un lien commun entre deux objets afin qu'ils communiquent, et de la nature de ces deux objets dépendra la nature de ce lien. Si le corps communique avec l'esprit, il ne peut le faire
qu'avec des moyens de sa nature (matériels). Hors un esprit immatériel ne pourrait être touché par un objet (lien) matériel, ce qui rend toute interaction impossible.
Étant arrivé à ces conclusions, mais constatant malgré tout que ma pensée n'était pas substantiellement matérielle, j'en arrive à ce que la pensée, qui ne peut être distincte du corps, mais existe pourtant tout en n'étant pas cette corporéité même, n'existe pas -en propre-. Elle ne possède pas d'existence distincte, puisqu'elle ne possède pas d'existence autonome. Elle possède une existence... logique. En effet son existence est comme celle des mathématiques, qui n'existent pas en propre, mais uniquement d'un point de vue logique. La pensée, tout comme le "monde" logique, sont des extensions de la matérialité, une conséquence de son existence.
Prenons un exemple : la trajectoire d'une planète. Cet objet (la trajectoire), mathématique, n'existe pas en tant que tel. En effet, la trajectoire n'est que la succession des positions d'un objet, qui lui
existe bel et bien matériellement. Cette trajectoire ne possède pas d'existence propre, ne constitue pas un objet, mais un événement : c'est "ce qui se passe". On pourra tracer cette trajectoire, et cette opération sera soit exacte soit inexacte (en fonction de l'exactitude de nos calculs), et cela sera en fonction de ce que notre calcul sera conforme ou non à la réalité, pas d'un objet donc, mais d'un événement. L'événement n'existant pas "en propre" il ne peut être isolé, hormis logiquement, tout comme les mathématiques ou même la pensée, qui sont tous des extensions de la matérialité, des événements, des réalités logiques.
Désormais définie ce en quoi consiste la pensée, essayons de la situer par rapport à ce qu'on entend par "je", puisque cela sera nécessaire pour la suite, comme noté en préambule. Il existe donc à
différentes échelles :
- La pensée : extension de la corporéité cérébrale
- Le cerveau : centre organique de la pensée
- Le corps humain : mon être organique dans sa généralité
- L'Univers : l'Être dans sa globabité dont je fais partie (ou "auquel je participe")
Lorsque donc on dit "j'aurais la faculté de me déterminer", il faut établir duquel de ces "je" on parle, est lequel ou lesquels se détermine(nt) réellement.
Ce que l'on sait (ou pense savoir), c'est que notre environnement nous détermine, et cela à toutes les échelles : il nous fait homme ou atomes d'hydrogène au sein du soleil, aucun ensemble d'atomes ne se faisant de manière autonome au sein de l'univers mais étant uniquement agencé par sa conformation globale.
Pour ce qui deviendra homme, le caractère approprié de se génétique fera qu'il sera ou non viable, et donc ce qui concernera le cerveau : toujours jusqu'ici, l'individu n'a eu aucun pouvoir (pas même les
parents qui n'ont pas choisi quel individu allait naître mais ayant uniquement effectué un geste de reproduction).
Une fois ce cerveau défini, il sera plus ou moins effecient en fonction de son environnement : un même spécimen vivant au fond d'une grotte toute sa vie n'aura ni les connaissances, ni même les facultés de raisonnement et de compréhension qu'un autre ayant vécu de la manière la plus enrichissante possible.
Ce que l'individu devient n'est même pas du fait de ses choix : on ne peut s'instruire que quand la survie est assurée, et on ne peut s'instruire idéalement que lorsque l'environnement est idéal.
Ainsi déjà, avant même les choix, ce sont les capacités de l'individu qui ne dépendant pas de lui. Capacités qui définiront les "choix" possibles, mais le terme est mal choisi, puisqu'il s'agit de
possibilités : comme le développement la jusqu'ici montré, pour certains n'existe que la possibilité matérialisme/idéalisme, alors que j'y ai ajouté l'approche événementielle (et on pourrait certainement en introduire d'autres). Certaines possibilités ne sont ainsi pas accessibles à certains, alors qu'elles le sont à d'autres. Comment pourrait-on donc apporter les mêmes réponses à un problème, forts de ce constat ?
Ainsi, la question du libre-arbitre pose la question de la connaissance : pour faire un "choix total" (en connaissance de cause, comprendre de toutes les causes), il faudrait une connaissance parfaite.
Je ne peux "choisir" que si je connais toutes les possibilités, dans le cas contraire ce "choix" ne sera que la conséquence, le résumé, le "calcul" de l'ensemble de mes connaissances.
Cela aboutit à une conclusion inévitable : le "choix" que je pense éprouver, n'est que la conséquence de ce que m'impose ma corporéité (l'ensemble des données que mon cerveau stocke ajouté à ses capacités de traitement). Je ne fais pas de choix, je les subis, et aussi, je les éprouve, en quelque sorte, je les sanctionne. Raison pour laquelle l'individu peut avoir l'impression de les faire, puisqu'ils passent par lui.
Mais déplacer le libre-arbitre à la corporéité comme on le voit, utilisant l'indéterminisme de la physique quantique, revient à sortir du problème. La question du libre-arbitre, ou de la faculté de la pensée
à se déterminer, n'étant pas le fait de la matière mais de la pensée elle-même. Il faudrait prouver que les deux ne sont qu'un même objet avant de pouvoir effectuer sereinement ce glissement. C'est ce que refuse le développement qui précède. Que notre corps se détermine serait déjà une chose, encore s'agit-il de s'intéresser à l'échelle ! Qu'importe si les constituants fondamentaux de la matière sont non-déterminés (à-priori), cela concerne chaque atome de l'univers. Les particules seraient indéterminées, donc "libres", la belle affaire ! Que les particules soient "libres" (c'est une façon de parler bien audacieuse) est une chose, que la matière au niveau moins fondamental, et particulièrement le cerveau, le soit en est une autre.
Et lorsqu'on parle de libre-arbitre, on parle de la faculté de la pensée à se déterminer, le premier "être" sur les quatre mentionnés plus haut. Pas d'un organisme fonctionnant, mais de son extension, son événement. Ce qu'on juge, c'est la capacité résultante du cerveau, si son processus (le moi conscient) s'auto-détermine ou pas. Et qu'une pensée soit déterminée par un organisme moteur prouve tout le contraire.
Il faudrait que la pensée soit son propre produit pour être libre (au moins vis-à-vis des autres objets), alors qu'elle n'en est que l'émanation.
La comparaison est facile avec la trajectoire d'un astre, qui n'est pas libre de se déterminer (ou auto-déterminant), mais est le fait de la planète elle-même (elle-même le fait des autres astres comme
l'est le cerveau du reste de l'organisme).
S'imaginer que la pensée dicte son développement, est semblable à celui prenant trop au pied de la lettre le fait qu'une planète "suive" une orbite, alors qu'elle la trace. Le logicien ayant pris le pas sur
le physicien.
Un autre point, conceptuel, est l'erreur d'assimiler liberté et indétermination. L'indétermination (quantique) consistant en une non-détermination temporelle, anticipative : la particule ne pourrait (au
moins par calcul) être déterminée anticipativement. Cette "indétermination" ne concernant que ses position et vitesse : ni sa composition, ni son existentialité ne concernent cette indétermination. Ainsi
une particule ne peut venir à l'existence de par elle-même. Ce qui veut dire que la matière même au niveau subatomique est limitée dans sa quantité, prédéfinie. N'oublions pas non plus que ces particules "indéterminées" sont soumises à la quantification, que ce soit de leur orbite ou de leur vitesse, ce qui donne un coup-d'arrêt à ce glissement sémantique qu'on essaie rapidement de faire entre les définitions quantique et usuelle.
La liberté, pour sa part, consistant en une auto-détermination, totale, c'est à dire en n'étant soumis à aucune contrainte extérieure. Aucune contrainte de nature, de position ou de vitesse, ou même
d'existence, ce qui semble bien impossible. Il s'agirait d'un être totalement chaotique, sous tous les points de vue, ne répondant à aucune règle, sans quoi la liberté disparaîtrait.
Une particule même élémentaire n'est pas libre, puisque soumise aux interactions. Qu'elle subit sa nature, un photon ne subissant pas les mêmes règles qu'un boson.
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