Bonsoir,
Par mon intervention dans cette discussion sur le forum de Physique (très loin de ma zone de confort), je voulais insister sur le fait que ce qu'Ilya Prigogine a pu écrire par lui-même sur l'application de ses travaux en biologie, à la fois quant au maintien de l'organisation au sein des organismes modernes, mais aussi quant à la question des origines de la vie, tout cela était finalement assez pauvre ; juste quelques commentaires assez laconiques (que j'ai voulu illustrer par le passage cité, dans l'article de 1972, qui ne dit justement pas grand-chose).
Heureusement, grâce au développement extraordinaire des outils attachés à la microscopie en fluorescence, qui ont permis d'étudier de plus en plus finement le fonctionnement cellulaire in vivo, on a aujourd'hui des exemples précis d'auto-organisation que l'on peut étudier dans le détail. C'est la raison pour laquelle j'ai cité quelqu'un comme Dean Astumian, qui a travaillé sur le mouvement sur les filaments d'actine. Ses contributions furent décisives pour choisir le modèle dit du "cliquet brownien" ("brownian ratchet" ; un "frein pour avancer" pour reprendre l'expression utilisée dans son article) en lieu et place du modèle précédent dit de la "décharge d'énergie" ("power stroke"). Il est aussi intéressant de noter que ces deux modèles concurrents de l'interprétation des données expérimentales sont apparus dans les années 1950, mais c'est vraiment l'amélioration des outils d'analyse in vivo qui ont permis de favoriser l'hypothèse du cliquet brownien. J'ai cité d'autres chercheurs qui ont travaillé sur d'autres sujets touchant à l'auto-organisation permise par les flux continus de matière et d'énergie au sein de la cellule vivante.
Mon ambition était peut-être de nous permettre d'utiliser ces quelques exemples d'auto-organisation qui sont étudiés de près à l'heure actuelle dans les laboratoires, pour essayer de répondre à ta question de départ, même si j'ai bien compris qu'on était dans le forum Physique et que, par conséquent, ta préférence était peut-être aux lois générales, et non pas à l'illustration par des exemples précis. J'ai la naïveté de croire que parfois, le passage par un ou des exemples particuliers peuvent être utiles pour ne pas "parler dans le vide", outre mon intérêt intrinsèque pour le travail fascinant des chercheurs dans ce domaine. Accessoirement, ça nous évite de verser un peu trop dans la théorie personnelle qui, comme chacun sait, est proscrite sur les forums de FS.
Je ne peux résolument pas être d'accord avec toi lorsque tu dis que "toutes les expériences [...] n'ont donné aucun résultat". Cela fait une dizaine d'années que, bon an mal an, je m'intéresse de près au sujet. Pour commencer, aucune des expériences que je connais n'a eu pour ambition de "recréer ce passage du non-vivant vers [le] vivant". On en connaît trop peu pour avoir cette ambition aujourd'hui. Ensuite, bien que je souffre d'une obsession en ce qui concerne la question, je ne prétends pas connaître "toutes les expériences qui ont été faites". Chaque année, il y a probablement plus de mille nouvelles publications qui touchent de près ou de loin la question.
Sur un autre sujet plus anecdotique, j'ai toujours eu un peu de mal avec la notion d'autopoïèse, telle qu'elle fut présentée à l'origine par Varela & Maturana (1972). Elle suppose ne serait-ce qu'implicitement la notion d'individu. Or, en chimie prébiotique, il n'y a que des espèces chimiques où la thermodynamique hors d'équilibre, la catalyse et la cinétique des réactions jouent déjà un très grand rôle, avant l'apparition d'organismes "individuelles". Cela dit, je veux bien reconnaître que dans le domaine des sciences cognitives (qui était quand même la spécialité de Varela), la notion d'autopoïèse a rencontré un succès mérité, dont l'on observe toujours l'influence aujourd'hui, même dans les modèles les plus récents de la conscience dans le cerveau humain (comme la "thèse de la plasticité radicale" d'Axel Cleeremans). Quant à l'étude des origines de la vie, plutôt que l'autopoïèse, je préfère le concept un peu plus ancien (et plus neutre) de biopoïèse, introduit par Norman Pirie en 1953 et repris (et popularisé) par John Bernal à partir de 1957.
Là aussi, je te trouve très dur lorsque tu estimes que les expériences "n'ont rien donné de probant". Déclarer cela, c'est ignorer complètement l'ampleur de la tâche. Je rétorquerais qu'avec les efforts relativement modestes qui sont aujourd'hui les nôtres, on en a appris énormément sur les mécanismes physico-chimiques qui auraient pu favoriser l'apparition de la vie sur la Terre. J'ai déjà tenté d'illustrer succinctement certaines des difficultés ailleurs (voir par exemple dans cette discussion).
Quoi qu'il en soit, le jour où nous serons "prêts" (peut-être dans un siècle ?), je suis d'avis qu'il nous faudra probablement un investissement humain et financier comparable à l'ère Apollo pour réussir à "recréer" pour la première fois l'apparition de la vie en laboratoire : un budget équivalent à plusieurs centaines de milliards d'euros d'aujourd'hui, des centaines de milliers de techniciens, d'ingénieurs et de chercheurs, qui travaillent ensemble sur une même "expérience" pendant près d'une décennie. En terme d'ampleur de la tâche, j'estime que l'on peut comparer ça au "Graal" que représenterait la réalisation d'une première centrale à fusion nucléaire productrice nette d'énergie.
Il y a eu quelques travaux au Santa Fe Institute visant à reformuler l'évolution biologique avec le concept d'auto-organisation (Hoelzer et al., 2006). J'ignore à quel point c'est "solide" et où ce genre de réflexion en est aujourd'hui.
Cela étant dit, je ne vois pas le rapport avec Schrödinger. L'une des célèbres citations de sa conférence de 1943, c'est bien le rapport au flux d'énergie et de matière, pas à l'évolution biologique. Pour paraphraser Schrödinger : Le "don étonnant" d'un organisme, c'est sa capacité à concentrer un flux d'ordre sur lui-même, par là même échappant au retour à l'équilibre thermodynamique, au délabrement jusqu'au "chaos atomique". En d'autres termes, c'est d'être capable d' "absorber de l'ordre" tiré d'un "environnement adéquat".
Comme je l'ai dit par ailleurs, dans le cadre des réflexions sur les origines de la vie sur la Terre, on serait en droit de se demander ce que pourrait être un "environnement adéquat" (voir cette discussion) ?Envoyé par Schrödinger (1944)
Le sens de ta remarque m'échappe complètement. J'ai du mal à comprendre ce que tu veux dire par là. Y a-t-il un rapport avec ce qui est dit dans le reste de ton message ou tiens-tu juste à exprimer une conviction personnelle qui n'a rien de commun avec le sujet ?
Cordialement.
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