Le titre est volontairement provocateur. Comment est - il possible de juxtaposer le mot "programme" synonyme d'algorithme avec le terme non - alogorithmique !
En fait l'on entend par programme non algorithmique, un programme qui réalise des choses qui ne sont pas explicités dans le programme. En d'autres termes, un programme dont le comportement échappe au programmeur.
Les exemples les plus connus de ce type de programmes, sont les automates cellulaires. Un automate cellulaire est un ensemble de cellules qui peuvent prendre différents états, l'état de chaque cellule étant définit par celui de ces voisines.
La règle qui régit un automate est souvent très simple, il peut par exemple s'agir du jeu de la majorité : une cellule peut être blanche ou noire, si la majorité des premières voisines est blanche alors la cellule devient blanche, sinon noire. Dans le cas où il y a autant de blanches que de noires, on tire au sort. Pour les physiciens, cet automate est strictement équivalent à modèle d'Ising à température nulle.
Ce qui est fascinant avec les automates cellulaires, c'est que même si la règle est très simple, il n'est pas possible de prévoir le comportement simplement en regardant le programme.
Pour prévoir le comportement il faut soit executer le programme, soit faire un modèle mathématique.
Si je crée ce fil c'est un peu en réponse au fil 'l'algorithme ultime' ou l'idée que l'histoire de l'univers est contenu dans un code, et serait donc prévisible si l'on connaissait ce code. En fait ces points de vues sont AMHA faux. Et je pense qu'une bonne base de discussion sur ce thème est ce texte tiré de 'A new kind of science' de Wolfram, trouvé sur le web
http://www.admiroutes.asso.fr/larevu...6/francois.htm
Depuis l'Antiquité, il a toujours régné un grand mystère autour de cette question du contraste entre l'univers pouvant suivre des lois définies, et nous en tant qu'humains pouvant souvent prendre des décisions au sujet de nos actes d'une manière qui semble affranchie de toute loi évidente.
Mais à partir des découvertes de ce livre, il semble finalement possible d'en donner une explication. Et je crois que la clé se trouve dans le phénomène d'irréductibilité computationnelle qui implique que même si un système peut suivre des lois sous-jacentes définies, son comportement général peut néanmoins présenter des formes qui ne peuvent fondamentalement pas être décrites par des lois raisonnées.
Si l'évolution d'un système correspond à une computation irréductible, alors la seule façon de trouver comment le système va se comporter est de réaliser cette computation - avec pour conséquence qu'il ne peut fondamentalement pas y avoir de loi permettant d'accéder à ce comportement de façon plus directe.
Et c'est cela, je crois, qui est à l'origine de l'apparente liberté de la volonté humaine. Car même si tous les composants de notre cerveau suivent vraisemblablement des lois définies, je soupçonne fortement que leur comportement général corresponde à une irréductible computation dont le résultat ne peut jamais être trouvé par des lois raisonnées.
On peut déjà voir quelque chose de très ressemblant se produire dans un simple système comme l'automate cellulaire de la figure présentée à gauche. Car même si les lois de ce système sont parfaitement définies, son comportement général finit par être suffisamment complexe pour que beaucoup de ses caractéristiques semblent n'obéir à aucune loi évidente.
Si on devait débattre de l'apparence du comportement de cet automate cellulaire, on pourrait tout à fait dire qu'il semble faire un peu ce qu'il veut - et lui attribuer une sorte de libre volonté.
Ce comportement a-t-il une chance d'être raisonné ? Car si on étudie les cellules individuelles à l'intérieur de l'automate, on peut pleinement s'apercevoir qu'elles ne font que suivre des règles strictes, et sont privées de toute espèce de liberté.
Et à un certain niveau, on pourrait dire la même chose des cellules nerveuses individuelles de notre cerveau. Pourtant celui-ci dans son entier arrive à se comporter avec une certaine liberté apparente.
La science traditionnelle a rendu cela très difficile à comprendre. Car on prétend normalement que si on se contente de trouver des règles sous-jacentes gouvernant les composants d'un système, alors ces règles devraient suffire à nous dire tout ce qui est important de savoir sur le système.
Mais comme nous l'avons constamment constaté dans ce livre, cette vision des choses n'est même pas approximativement correcte. Il peut en fait y avoir largement plus de choses dans le comportement d'un système que dans tout ce qu'on pourrait essayer d'y entrevoir en se limitant à ses règles sous-jacentes. C'est une conséquence fondamentale du phénomène d'irréductibilité computationnelle.
Car si un système est computationnellement irréductible, cela signifie qu'il existe une séparation tangible entre les règles sous-jacentes du système et son comportement général, associée à la quantité de travail computationnel nécessaire pour passer de l'un à l'autre.
Je crois que c'est dans cette séparation, que repose la prime origine de l'apparente liberté dont semblent jouir toutes sortes de systèmes - qu'il s'agisse de systèmes abstraits comme les automates cellulaires ou de systèmes concrets comme le cerveau.
Mais finalement, qu'est-ce qui nous fait dire qu'il y a de la liberté dans ce qu'un système fait ? En pratique, le principal critère semble être l'impossibilité de prédire son comportement. Si nous pouvions le prévoir, il nous montrerait qu'il est déterminé d'une façon définie, et donc ne pourrait être qualifié de libre. Mais avec nos méthodes de perception et d'analyse, nous avons besoin d'un comportement plutôt simple pour nous permettre d'identifier des règles générales nous laissant faire des prédictions raisonnables les concernant. Et ce genre de comportement est assez courant, même chez les organismes vivants. En particulier chez les animaux les moins évolués, il existe toutes sortes de situations où de très simples et très prévisibles réponses à des stimuli sont observées. Mais ces réponses sont normalement considérées comme des réflexes inévitables ne laissant aucune place aux décisions ou à la liberté.
Et dès que le comportement devient plus complexe, nous avons vite tendance à imaginer qu'il est associé à une certaine forme de liberté sous-jacente. Nous introduisons cette dose de liberté, car avec l'intuition traditionnelle nous avons toujours une sorte de réticence à penser qu'une réelle imprévisibilité puisse émerger dans un système qui ne fait que suivre des règles sous-jacentes définies.
Et ainsi, pour expliquer notre comportement humain, on prétend souvent qu'il doit se passer quelque chose de plus fondamental - et peut-être quelque chose de propre aux humains.
Dans le passé, la croyance la plus courante était basée sur l'existence d'une certaine forme d'influence extérieure du destin - associée peut-être à l'intervention d'un être surnaturel ou à la configuration des corps célestes. Dans des temps plus récents, la sensibilité aux conditions initiales et l'incertitude quantique ont été proposées comme des explications plus scientifiques.
Mais un peu comme dans la discussion sur le hasard (voir chapitre 6), nous n'avons pas réellement besoin de ce genre d'explications. Car comme nous l'avons vu si souvent dans ce livre, même les systèmes dotés de règles sous-jacentes assez simples et définies peuvent produire des comportements si complexes qu'ils vont paraître libres de toutes règles apparentes.
Le point crucial est que ces comportements apparaissent simplement pendant l'évolution intrinsèque du système - sans avoir besoin d'aucune entrée supplémentaire de l'extérieur ou d'aucune sorte de source explicite d'aléatoire.
Et je crois que c'est ce type de processus intrinsèque - dont nous savons maintenant qu'il apparaît dans un large éventail de systèmes - qui est le responsable primaire de l'apparente liberté dans les opérations de notre cerveau.
Mais cela ne veut pas dire que tout ce qui advient dans notre cerveau a une origine intrinsèque. En effet, ce qui semble se passer en pratique est le fait que nous recevons des entrées extérieures conduisant à une chaîne de pensées suivant son cours pendant un certain temps, puis celle-ci s'éteint jusqu'à l'entrée suivante. Et souvent cette chaîne de pensées est influencée par la mémoire développée par des entrées passées - faisant varier cette chaîne de pensées même si l'entrée est exactement la même.
Mais il semble vraisemblable que les étapes individuelles de chaque chaîne de pensées suivent des règles sous-jacentes assez définies. Et le point crucial est que je suspecte que la computation réalisée en appliquant ces règles va souvent être assez sophistiquée pour être computationnellement irréductible - et par conséquent cette chaîne va produire intrinsèquement un comportement nous paraissant libre de toute loi évidente.
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