Bonjour,
Peut-être avez-vous déjà été confrontés à cette interrogation de la part de votre entourage lorsqu'ils ne gravitent pas autour des sciences.
"Pourquoi 'pourquoi ?' n'est pas une question scientifique ?"
Telle que j'analyse...
Je pense que ce pourquoi peut se rattacher à la pensée de Leibniz et bien d'autres, avec en héritage le déterminisme absolu. Je leur préfère de loin Nietzsche, plus naturaliste et analyste (scientifique ?), pour qui par exemple : "Ne pas admettre différentes espèces de causalités aussi longtemps qu'on n'a pas cherché à se contenter d'une seule en la poussant jusqu'à ses dernières conséquences (jusqu'à l'absurde dirais-je même), voilà une morale de la méthode à laquelle on n'a pas le droit de se soustraire aujourd'hui ; elle est donnée « par définition » dirait un mathématicien."
Soit l'épuisement d'une hypothèse/interprétation ou d'un raisonnement avant d'entériner (= confirmer le bien-fondé, la valeur de quelque chose) sa (non) scientificité.
La scientificité est intimement liée à l'épistémologie, et par là-même à la philosophie sur laquelle repose les bases de la méthode dite scientifique. D'une certaine manière, beaucoup de gens, qu'ils soient scientifiques ou non, relient la scientificité à la vérité ; ce qui peut amener à beaucoup de confusion, même si dans le fond on trouve un lien inaliénable et si évident, que par mégarde on leur prête une fausse synonymie.
D'après Nietzche : "La vérité part de la volonté de ne pas être trompé". En ce sens, l'ontologie nous ramène à ce fossé entre le monde formé par les informations de perceptions et réflexions, et le réel par principe objectif. De fait :
- Ce n'est pas parce qu'on perçoit la "course du soleil" que ce dernier tourne autour de notre position. Les sciences nous enseignent à la fois une certaine méfiance et paradoxalement une certaine confiance dès lors qu'on obtient des résultats par la méthode scientifique.
- La Science repose sur le postulat qu'elle est « ce que l'on tient pour vrai au sens large, l'ensemble de connaissances, d'études d'une valeur universelle, caractérisées par un objet (domaine) et une méthode déterminés, et fondés sur des relations objectives vérifiables [sens restreint] ». Ce qui implique qu'à l'instant où un postulat n'est plus ou n'est pas vérifié, il perd ou n'obtient pas de validité. C'est le principe de réfutabilité, lui aussi très lié à la scientificité et parfois pris pour synonyme.
- De la même manière, il y a beaucoup de confusion entre vérité et bien, avec tout le lot de biais que cette relation bancale, basée sur l'espoir et la fuite, et finalement fausse ; peut comporter en illogismes, sophismes, voire contradictions. Une vérité peut être horrible, et même cruelle -- on le voit trop souvent en judiciaire. Ce qui amène à dépouiller/déparer la vérité de cette aura finaliste pour la recadrer/replacer dans le concept et le factuel.
Où réside donc le ou les piège(s) ?
Selon moi, d'abord dans le nécessitarisme parfois sous-jacent à des argumentaires déterministes, comme trop souvent lu sur ces forums. L'un des exemples récurrents : les discussions sur le libre-arbitre ou éventuellement la conscience en neurosciences. C'est presqu'un point Godwin en soi. Ce qui aboutit (de facto ?) ou même est une forme de finalisme.
Concernant le déterminisme, il a été mis en échec par le principe d'incertitude de Heisenberg et le principe Carnot (ou deuxième loi de la thermodynamique). En soi cela implique qu'il est réfuté par démonstration autant qu'observation/expérimentation.
Côté vocabulaire, les débutants apprennent à demander "comment ?" au lieu de "pourquoi ?", malgré une certaine confusion car là encore on leur prête une fausse synonymie. D'après l'académie française :Il est tentant de s'interroger sur la cause, ne serait-ce qu'en vertu du principe de causalité, qui reste pourtant une notion statistique à ne pas confondre avec le déterminisme (une/des causes = une/des conséquences).
- Pourquoi : adv. Sert à interroger sur la cause ou sur la finalité d'une action ou d'un fait.
- Comment : adv. Sert à interroger sur la manière dont une action se déroule ou un fait se présente, sur des conditions.
Mais ça, c'est question de notions avec malheureusement un problème de faux-amis assez difficile à vulgariser, surtout de façon rapide et efficace.
Pour quelles conséquences ?
Beaucoup de personnes à qui cette différence pourquoi/comment (avec d'autres) échappe en viennent à remettre en cause la notion de scientificité d'une question, et par là même la méthode scientifique :
- soit qu'ils jugent la méthode incomplète ou insatisfaisante, là où la réponse scientifique est "on ne sait pas" ; ou dogmatique, lorsque l'analyse enlève toute scientificité à certaines questions ou certaines "affirmations/hypothèses".
- soit qu'ils jouent sur l'ambiguïté pourquoi/comment dans une optique souvent douteuse à dangereuse pour justifier des idéologies et opinions.
- soit que certains "génies incompris" et incomprenants s'empressent d'exploiter l'existence des "on ne sait pas" en tant que réponse scientifique, pour tout et surtout n'importe quoi.
Bref. Comment 'pourquoi ?' sort(irait) du cadre scientifique selon vous ?
En vous remerciant de votre bienveillante participation
-----