Outre son aspect frustrant (ce qui n'est pas un bon argument, voir pas un argument du tout, comme je le reconnais volontiers) le problème de l'instrumentalisme est qu'il rend absurde l'activité scientifique elle-même.
Grosso modo, il me semble qu'un instrumentaliste doit répondre à la question suivante :
-êtes vous instrumentaliste localement (c'est à dire, uniquement à propos de la physique quantique, ou à propos de ce qui n'est pas observable) ou globalement (c'est à dire à propos de toutes sciences ?)
Si vous répondez globalement, vous en arrivez à la conclusion que chercher les os des dinosaures ne sert pas à savoir comment ces animaux ont vécu, mais simplement à essayer d'anticiper, en élaborant des fictions utiles à partir de certaines découvertes, où rechercher afin de trouver d'autres ossements de dinosaures, ce qui rend le métier de paléontologue complètement absurde (et avec lui, le métier d'astrophysicien, d'historien et bien d'autres activités scientifiques).
Si vous répondez localement, étant donné le caractère global, holistique, de nos connaissances et l'existence de réseaux entre disciplines scientifiques, vous vous embarquez dans la tâche, me semble-t-il, très ardu de justifier à partir de quel moment et sur quels critères vous exercez votre réalisme et votre instrumentalisme. Par exemple, quelqu'un comme Baas Van Frassen, qui est sans doute l'anti-réaliste le plus en vu actuellement dans le débat sur le réalisme scientifique, répond à ce problème en adoptant le réalisme naïf du sens commun à propos des objets visibles et palpables. C'est à dire qu'il se veut plus sceptique que le physicien moyen par rapport à l'existence des électrons, des atomes, etc..., mais qu'il est plus naïf que lui à propos des objets quotidiens. Personnellement, je trouve cela très problématique comme solution, ne serait-ce que parce que la manière dont on appréhende le monde (y compris les macros-objets) peut dépendre de nos théories physiques (qui peuvent parler de micro-objets) et que certaines choses qui furent jadis invisibles sont maintenant bien visibles grâce à l'instrumentation (un œil n'est d'ailleurs pas moins un instrument qu'un détecteur de particules). D'un point de vu général, il me semble que tout instrumentalisme, positivisme ou idéalisme repose sur une forme de scepticisme arbitrairement sélectif.
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