SEMINAIRE GENERAL du Laboratoire Matériaux et Phénomènes Quantiques (MPQ), “La physique quantique exige-t-elle la non-localité ?” Michel BITBOL, Quantum Physics and Nonlocality, Jeudi 20 Octobre 2011 à 11:30. University Paris-7 Diderot, Salle Klee 454 A. http://www.mpq.univ-paris-diderot.fr/
M. BITBOL propose donc un choix :
Pour rendre compte des célèbres corrélations d’Einstein, Podolsky et Rosen [1-1], le théorème de Bell [1-2] nous laisse le choix entre renoncer au réalisme scientifique ou renoncer au caractère local des propriétés microscopiques. Ces dernières années, plusieurs arguments théoriques et expérimentaux ont mis le réalisme microphysique sous une pression accrue, ce qui a rendu moins convaincante la croyance répandue selon laquelle la non-localité est imposée par la physique quantique. Mais ce qui est rarement apprécié, c’est jusqu’à quelles conséquences extrêmes l’anti-réalisme doit être poursuivi si l’on veut comprendre les corrélations quantiques sans non-localité [1-3]. Pour cela, on doit aller jusqu’à mettre en cause la réalité intrinsèque d’événements macroscopiques tels que les lectures d’instruments au laboratoire. Cette approche radicale sera examinée dans plusieurs cadres interprétatifs, y compris l’interprétation relationnelle de la mécanique quantique proposée par Rovelli. Ce sera l’occasion de discuter plus généralement la pertinence des approches réalistes et anti-réalistes de la théorie quantique, qui se sont affrontées depuis sa création.
- soit on opte pour l’interprétation réaliste, donc non locale, de la mesure quantique,
- soit on opte pour l’interprétation locale donc anti-réaliste. Cet anti-réalisme se répercute [selon M. BITBOL] jusqu’à l’échelle macroscopique.
Pourquoi ce choix ? La localité relativiste, découlant de l’invariance de Lorentz, s’observe. Le réalisme, c’est l’hypothèse d’existence d’une réalité observable possédant des propriétés qui seraient indépendantes de l’observateur et de l’acte d’observation. Cette hypothèse (impliquant la non localité) ne peut donc pas, du fait même de sa formulation, s’appuyer sur des preuves expérimentales. D’ailleurs, une mesure nous informe sur une relation entre système d’observation et système observé (et non sur le système observé lui-même). Le réalisme naïf, à savoir l’hypothèse d’existence, non pas seulement d’une réalité extérieure, mais de propriétés de cette réalité qui présenteraient un caractère objectif, n’est donc pas tenable.
Pour autant, si on se place du point de vue du réalisme non naïf (à savoir l’existence d’une réalité possédant des propriétés non pas objectives, mais intersubjectives, comme le confirme la reproductibilité des résultats d’observation) la « coexistence pacifique » entre mesure quantique et causalité et localité relativiste est-elle définitivement établie ?
Deux raisons me semblent au contraire laisser en piste l’hypothèse d’une possibilité de se servir de la mesure quantique sur des systèmes intriqués pour transmettre de l’information entre un émetteur et un récepteur en un temps indépendant de la distance séparant l’émetteur du récepteur (en violation du no-communication theorem [2]).
1/ La localité, et plus complètement la relativité, c’est l’invariance des lois de la physique vis-à-vis des actions du groupe de Poincaré (le groupe de symétries dont émerge l’espace-temps de Minkowski). Or, à cause des inégalités de Heisenberg, les notions d’évènement, de localisation spatiale et de localisation temporelle, propres à l’espace-temps de Minkowski, ne sont plus pertinentes à l’atteinte de l’échelle de Planck.
Dans ces conditions, il semble difficile d’accorder aux symétries relativistes (notamment à l’invariance de Lorentz, c'est-à-dire la localité relativiste) un statut fondamental, plutôt qu’un statut d’émergence thermodynamique statistique. En effet, ces symétries émergent de statistiques sur des résultats issus de nos appareils de mesure macroscopiques (à l’issue, donc, de phénomènes perçus à notre échelle comme irréversibles et indéterministes alors qu’ils sont à la fois déterministes et réversibles à l’échelle microphysique). Cela découle de la fuite d’information hors de portée de l’observateur macroscopique (1).
2/ La preuve de l’impossibilité de violer la causalité relativiste en se servant de la mesure quantique sur des systèmes intriqués repose, via le no-communication theorem, sur un usage du formalisme des opérateurs densité s’appuyant la règle de Born. L’hypothèse d’une compatibilité de la mécanique quantique avec la localité et la causalité relativiste, malgré la violation des inégalités de Bell, repose donc, implicitement, sur l’attribution d’un caractère fondamental à la règle de Born régissant les statistiques de la mesure quantique.
L’impossibilité de biaiser les statistiques des résultats de mesure quantique en vue de « faire mentir le no-communication theorem » est, certes, considérée comme confirmée par une multitude de résultats d’observation très contraignantes (les références à ces résultats expérimentaux en vue de nourrir ce débat sont les bienvenues). Toutefois, les travaux de R. BALIAN en matière de modélisation de la mesure quantique [3][4] semblent confirmer le fait que l’indéterminisme aussi bien que l’irréversibilité de la mesure quantique trouvent leur origine dans la création d’entropie (fuite d’information) lors de phénomènes irréversibles se manifestant à l’échelle macroscopique (dans un cadre qui est celui de la physique statistique classique).
Cela tend à suggérer la nécessité de prouver l’impossibilité (si elle est valide) de biaiser les statistiques quantiques au lieu d’ajouter axiomatiquement la règle de Born (régissant ces statistiques) aux axiomes permettant de modéliser l’évolution des systèmes quantiques par une dynamique hamiltonienne.
Dans le cadre de l’interprétation de la mesure quantique comme un phénomène de transition de phase [3][4], quelle serait votre explication physique de l’impossibilité actuellement admise (et observationnellement confirmée jusqu’à ce jour) de faire basculer un chaton de Schrödinger dans l’état initial lpsi> = lpsi1> + lpsi2> plus souvent vers l’état classique lpsi1> que vers l’état classique lpsi2> (2) ? Et surtout, quels sont les articles scientifiques qui vous semblent fortement suggérer cette hypothèse (généralement admise axiomatiquement alors que les axiomes de la mesure quantique sont, en principe, surabondants et incompatibles avec le caractère de dynamique hamiltonienne des évolutions quantiques) ?
[1] EPR, Bell & Aspect: The Original References (in PDF Format) By David R. Schneider
http://www.drchinese.com/David/EPR_Bell_Aspect.htm
[1-1] A. Einstein, B. Podolsky, N. Rosen: "Can quantum-mechanical description of physical reality be considered complete?" Physical Review 41, 777 (15 May 1935).
[1-2] J.S. Bell: "On the Einstein Podolsky Rosen paradox" Physics 1 #3, 195 (1964)
[1-3] A. Aspect, Dalibard, G. Roger: "Experimental test of Bell's inequalities using time-varying analyzers" Physical Review Letters 49 #25, 1804 (20 Dec 1982).
[2] Quantum Information and Relativity Theory Authors: Asher Peres, Daniel R. Terno, 32 pages, http://arxiv.org/abs/quant-ph/0212023 (contient le No-communication theorem)
[3] Curie-Weiss model of the quantum measurement process, Armen E. Allahverdyan, Roger Balian and Theo M. Nieuwenhuizen, 5 pages, mars 2002, http://arxiv.org/abs/cond-mat/0203460v2
[4] Understanding quantum measurement from the solution of dynamical models, Armen E. Allahverdyan, Roger Balian, Theo M. Nieuwenhuizen, 161 pages, juillet 2011, http://arxiv.org/abs/1107.2138
(1) Cette perte d’information à l’échelle microphysique est requise pour enregistrer de façon permanente et robuste de l’information classique sous forme de grandeurs d’état macroscopiques caractérisant l’état classique d’une mémoire physique stockant cette information. Cette fuite d’information caractérise la notion même d’irréversibilité (indissociable du second principe de la thermodynamique et de l’impossibilité d’un démon de Maxwell [7]).
(2) Parvenir à faire basculer un chaton de Schrödinger initialement dans l’état l psi> = l psi1> + l psi2> plus souvent vers l’état classique l psi1> que vers l’état classique l psi2> permettrait de transmettre de l’information en un temps indépendant de la distance séparant l’émetteur du récepteur. Voyons comment :
En faisant interagir un « appareil de mesure » mésoscopique, jouant le rôle de polariseur horizontal, avec un système quantique à deux états, initialement préparé dans un état de polarisation verticale, il est possible de mettre ce système mésoscopique dans une superposition de deux états classiques (c’est à dire une superposition de deux états propres de l’hamiltonien d’interaction du système mésoscopique avec son environnement).
Ce même système mésoscopique reste au contraire dans un état classique si le système à deux niveaux interagissant avec lui est préparé dans un état de polarisation horizontale.
L’interaction résonnante, avec un champ électromagnétique cohérent de quelques photons, pendant une durée appropriée, d’un atome de Rydberg dans le cadre des expériences d’électrodynamique quantique en cavité du LKB par exemple [5] illustre cette possibilité. Utilisons cette possibilité. Pour cela :
l psi > = i^n |i alpha > - (-i)^n |-i alpha > si B rentre dans la cavité dans l’état le> [5] eq. (1.156)
- Mettons deux atomes de Rydberg A et B dans un état intriqué d’énergie |psi> = leg> - i lge> [6] eq. (3.38)
- Mesurons la polarisation verticale de l’atome A. Nous projetons ainsi l’atome B lui aussi dans un état de polarisation verticale (le> niveau d’énergie excité ou lg> niveau d’énergie inférieur).
- Réalisons, pendant un temps approprié (TR/2=T0n^1/2, où T0 désigne la période de Rabi du vide dans la cavité [5] et n le nombre moyen de photons), une interaction résonnante de l’atome B avec un état initialement cohérent l alpha > (d’une moyenne de n photons) régnant dans la cavité. Nous mettons alors ce champ dans l’état chat de Schrödinger :
l psi > = i^n |i alpha > + (-i)^n |-i alpha > si B rentre dans l’état lg> [5] eq. (1.114) avec phi = -pi/2
Ainsi, l’effet de la mesure de polarisation verticale de l’atome de Rydberg situé en A se traduit, via l’intrication de l’atome B avec le champ initialement cohérent régnant dans la cavité, par la mise de l’état du champ dans un état non classique de type chaton de Schrödinger (c’est à dire la superposition quantique de deux composantes cohérentes du champ).
Au contraire, une mesure de polarisation horizontale de l’atome A, projette aussi l’atome B dans un état de polarisation horizontale. L’intrication de l’atome B avec le champ initialement cohérent régnant dans la cavité, modifie la phase du champ régnant dans la cavité mais laisse cette fois le champ dans un état classique.
Considérons donc, d’une façon générale, un chaton de Schrödinger dans l’état superposé lpsi> = lpsi1> + lpsi2> de l’état classique lpsi1> et de l’état classique lpsi2>. Envisageons la possibilité (spéculative) de tirer parti (par un choix approprié du système mésoscopique en question, de son environnement et des conditions d’expérience) du caractère métastable de cet état superposé [3][4] et du caractère thermodynamique statistique du hasard quantique pour « pousser » le chaton à tomber plus souvent dans l’état classique lpsi1> que dans l’état classique lpsi2>.
Dans un tel cas, en appliquant cette possibilité au cas ci-dessus, il deviendrait possible de distinguer un flux d’atomes de Rydberg B mis dans un état de polarisation verticale par mesure de polarisation verticale en A d’un flux d’atomes de Rydberg B mis dans un état de polarisation horizontale par mesure de polarisation horizontale en A.
Prouver l’impossibilité de se servir de la mesure quantique sur des systèmes intriqués et de la possibilité de mettre un système mésoscopique dans un état non classique ou au contraire de le laisser dans un état classique selon le type des mesures réalisées (mesures de polarisation horizontale ou mesures de polarisation verticale) pour violer le no-communication theorem exige donc de prouver, sur la base d’une modélisation détaillée, l’impossibilité de biaiser les statistiques quantiques.
Cela devrait, me semble-t-il, être très directement relié au second principe de la thermodynamique (ou plutôt à la version informationnelle de ce principe, à savoir l’impossibilité d’un démon de Maxwell [7]). Si la preuve de ce point précis est établie en détails quelque part dans l’un des articles publiés sur Arxiv, je suis intéressé.
[5] Oscillation de Rabi à la frontière classique-quantique et génération de chats de Schrödinger, Alexia AUFFEVES GARNIER, 29 Juin 04, §1-4-3 Oscillation de Rabi et complémentarité, sous-paragraphe Superpositions mésoscopiques d’états du champs : quelques propriétés http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00006406/en/
[6] Réalisation d'états intriqués dans une collision atomique assistée par une cavité, Stefano Osnaghi http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00002072/en/
[7] Le Démon de Maxwell, David Poulin, Décembre 1999, Département de Physique, Université de Sherbrooke http://www.physique.usherbrooke.ca/p...gnement/dm.pdf
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